Le vent s'était levé pendant la nuit, frappant au carreau de la chambre gracieusement offerte pour la nuit par lord Snape. La pluie n'avait pas tardé non plus. Lisa était restée éveillée une bonne partie de la nuit attendant l'orage, le tonnerre. Elle ne dormait jamais très bien. Les insomnies et nuit blanches elle ne les comptait plus. Heureusement les remèdes et concoctions lui offraient un peu de répit. Mais elle était tombée à cours pendant son trajet jusqu'au Manoir Prince.
Au matin, la météo n'avait pas changé. Toujours aussi terrible, même peut-être pire. Les éclairs ne tarderaient pas. Lisa avait avalé un semblant de petit-déjeuner avant de revetir sa cape, prête à sortir braver les éléments. Elle n'avait croisé que quelques domestiques qui n'avaient guère dit grand chose sur son passage. Un homme respectable comme Lord Severus lui aurait sans doute proposé de rester jusqu'à ce que passe la tempête mais Lisa était une demoiselle têtue. Lorsqu'elle se mettait une idée en tête, en l’occurrence de partir retrouver Keith Lowander pour recevoir ses nouveaux ordres, elle n'écoutait rien ni personne. Alors elle avait quitté le manoir comme une ombre discrète.
Ce n'était pas très longtemps après qu'elle s'était retrouvée trempée jusqu'aux os, incapable de progresser aussi vite qu'espéré. La jeune femme devait bien reconnaitre que ce n'était pas une si bonne idée que de sortir en pleine tempête pour regagner l'Auberge d'où partait le coche pour Dundee. Il ne fallut pas attendre plus longtemps pour que le tonnerre gronde. Lisa sursauta loin de se douter que les éclairs se mettraient eux aussi à pleuvoir. Dans l'état où elle était elle n'eut pas le temps de réaliser qu'une bourrasque puissante venait de déloger une large branche au-dessus d'elle. Ses réflexes furent trop lent et elle tomba violemment, sa tête meurtrie par le poids du bois qui l'avait percuté à toute vitesse. Elle ouvrit les yeux incapable de se lever, encore sous le choc. Ce ne fut pas long avant que l'hypothermie la rattrape, la faisant sombrer dans un sommeil profond. Elle avait tout d'un petit animal blessée et perdu, roulée en boule près d'une haie à la merci de la Nature sauvage.
Toujours aussi direct. Elle devait admettre que c’était bien, cette simplicité entre eux, qui contrastait entre les moments où chacun se cherchaient.
« Merci. »
Répondit-elle alors avec la même brièveté.
Elle continua de manger à son rythme même si le Duc avait quasiment fini. Impossible de se presser sans risquer une nausée, de ce fait si elle voyait qu’elle le retenait trop longtemps elle finirait pas l’inviter à quitter la table sans l’attendre. Même si ce n’était pas à elle d’excuser le duc de sa propre table dans son manoir.
« Je ne manquerai pas de transmettre vos respects à Keith. Je doute qu’il me laisse oublier de toutes façon. »
Ils le connaissaient aussi bien l’un que l’autre. Le Lowander serait sûrement friand qu’elle lui compte toute la rencontre, la réaction de Lord Snape, et ce genre de détails. Lisa serait donc forcément amener à rapporter les paroles de son hôte.
Après un temps le repas prit fin. La bohémienne remercia la cuisinière et salua le Duc. Elle allait se coucher tôt puisque demain elle reprendrait la route en espérant que sa maladie soit laissé derrière elle et qu’elle soit en pleine forme pour le voyage.
Le matin, elle prit ses affaires et disparut en compagnie du serviteur qui ramerait la monture à son propriétaire, et ce fut comme si elle n’avait jamais mis pieds au manoir. Elle n’avait laissé aucune trace de son passage, si ce n’était que les deux livres que le Duc lui avait offert, qui voyageaient à présent avec elle.
La jeune femme, bien qu’elle se tienne avec la délicatesse d’une vraie dame, n’avait pas un appétit impressionnant. Severus le nota, après une longue observation qu’il fit le plus discrètement possible. Les mets étaient pourtant bons et raffinés, bien que le plat soit simple en soit. Le Duc aimait goûter de la nourriture de qualité mais sans trop de fanfreluches autour. Il n’avait pas de temps à perdre ni d’argent, Mary était parfaite. Donc ce n’était pas la qualité le problème, il en était à peu près certain. Alors quoi ? Le fait qu’elle ne se sente pas encore assez bien ? Il n’irait pas la chercher une deuxième fois, il s’y refusait.
« Non, aucun problème. » Répliqua-t-il en saisissant sa coupe de vin. Lorsqu’il proposait quelque chose il entendait qu’on l’accepter sans discussion ni compromis. En général. Quasiment toujours d’ailleurs. « Vous transmettrez mes salutations à Keith, et mes...remerciements. »
Elle hocha lentement la tête. Il avait évité sa question ce qu'elle ne manqua pas de remarquer malgré le fait qu'il conversait avec un naturel qui aurait fait douter même un auditeur attentif de s'il avait effectivement posé la question au Duc ou non.
Lisa pencha la tête pour remercier Mary de leur avoir apporté le diner et commença à son tour à manger. Elle picorait dirons nous. Ce n'était pas forcément un détail qu'on remarquait tout de suite, certains penseraient sans doute que c'était des manières et qu'elle prenait son temps pour manger, mais la vérité et qu'elle n'aimait pas manger en public. Même si en l'occurence le public du jour ne se composait que d'un seul individu. C'était un instinct qu'elle n'expliquait pas. Peut-être un peu animal, telle une louve qui défend son bout de viande à la force de ses crocs, et refuse qu'on s'approche. De plus manger lui rappelait toujours les jours de faim quand Madam Peacock refusait de la nourrir parce qu'elle s'était montrée impertinente avec un client. Parfois elle était même cruelle au point de lui donner sa nourriture sur le corps d'un client, juste pour la rendre encore plus chienne qu'elle ne l'était. Et les pervers ignobles aimaient la voir pleurer le ventre gargouillant en proie à une réflexion interne sur si elle allait manger ou vivre encore un jour de plus dans la famine. Le traumatisme était toujours puissant, si bien qu'il lui arrivait parfois d'être prise de nausée et s'empêcher de manger, de peur que ne resurgissent un souvenir contrariant. Aussi forte que Lisa se montrait en apparence, elle n'en restait pas moins marqué au fer rouge par ce qu'elle avait vécu. Souillée, asservie. Elle profitait de son statut tout fraichement acquis pour se venger des mécréants qui avaient ternis son honneur. Seulement une fois qu'ils seraient tous décimés pourrait-elle reposer en paix.
La bohémienne aurait sans doute refusé si l'idée d'avoir une monture à disposition ne lui faisait pas gagner le temps qu'elle avait perdu à rester alité. Lord Snape lui offrait la possibilité de retourner à son mécène presque en temps et en heure, pas que Keith l'attende avec impatience de toute façon. Tout ce que le Noble attendait soit qu'elle lui conte l'expression de son ancien camarade lorsqu'il l'avait vu débarqué. Le Lowander aimait rire, taquiner, c'était sa façon à lui de se divertir dans un monde superflu où il ne manquait de rien et la vie était d'un ennuie si on ne trouvait pas de distractions.
" Merci Monsieur le Duc, votre offre me va droit au coeur. Je serai très reconnaissante de cette aide qui me permettra de prendre la route en de bonnes circonstances. Vous êtes certains que cela ne posera pas de problèmes ? "
Le Lord remercia Mary d'un signe bref. Il est vrai que la brave cuisinière était l'une des rares personnes qui lui ait témoigné quoiqu'il arrive une grande fidélité. Peut-être parce qu'elle l'avait vu naître...Severus faisait en sorte de ne pas la surcharger de travail, sans en avoir l'air. Il ne précisa pas sur le champs ce qui l'avait retenu, mais quand à son état répondit "Fidèle à moi-même, Madame." L'homme commença à souper. Il n'avait pas grand appétit, malgré les activités. Il scruta un moment la jeune femme qui était non loin. "Un cheval pourra vous emmener à la destination de votre choix. Mon serviteur se chargera de le ramener." On eut dit un professeur faisant une sobre remarque sur le prochain contrôle. C'était avec ce genre de détachement que s'exprimait la voix de velours.
Les heures étaient passées et Mary était venue frapper à la porte pour annoncer qu'elle commençait à préparer le diner. C'était le signal pour Lisa de se lever et se préparer pour le repas en compagnie de Lord Snape. La jeune bohémienne n'avait pas tant d'affaire avec elle mais fort heureusement, la bonne avait rincé ses vêtements et les mis à sécher près du feu, de façon à ce qu'elle puisse les porter ce soir. Mary était une bonne personne, il faudrait qu'elle pense à la remercier.
Après s'être débarbouillée le visage avec la bassine d'eau et le gant de toilette qu'on lui avait laissé elle enfila sa robe ample et fit son chemin jusqu'à la salle à manger. Le lord n'était pas encore présent. Il devait être toujours occupé. La brunette se dirigea vers la place qu'on avait dressé pour elle aux côtés de l'imposant fauteuil du Duc.
Une petite attente plus tard et voila qu'il faisait son entrée, toujours spectaculaire avec sa cape et ses manières. La demoiselle lui adressa un petit hochement de tête pour l'accueillir.
" Je vous en prie. Vous deviez avoir du travail important. Je me porte bien et vous ? "
Demanda-t-elle en pensant à la conversation qu'ils avaient eu plus tôt.
Elle se demandait s'il lui adresserait la même réponse.
" Á quelles occupations avez vous passé votre après-midi ? "
Le Lord était reparti prendre des notes, tester les températures dans le chaudron. Il finit par vraiment s’irriter. Un coup d’oeil à l’horloge une fois remonté à la surface l’avertit qu’il pouvait s’autoriser une excursion avant que le soleil ne baisse. La tempête était à demi passée, il devait sortir. Il vérifierait le bon état de ses terres, ou du moins l’environnement proche, et cela lui changerait les idées. Il aimait monter à cheval. Il n’en avait pas toujours eu le temps auparavant. Sur ses terres sauvages, il était peut-être plus en danger que jamais, mais aussi plus libre de sa destinée. Enfin….Non . Uniquement de ses déplacements en tout cas. Quand le soleil et sa lumière commencèrent à décroître, il pressa son étalon pour rentrer. D’habitude il ne se serait pas gêné, étant habitué à vivre seul. Mais il avait convenu de recevoir son hôte, fut elle gitane. Quand il arriva, le souper était déjà servi. Dans un mouvement de cape impressionnant, il s’arrêta net au seuil de la salle à manger. L’homme observa la jeune femme, avant de déclarer de sa voix veloutée : « Veuillez m’excuser Lisa, je n’ai pas vu l’heure s’écouler. » D’un pas ample il rejoignit sa place, s’asseyant sans bruit. Mary se pressa de le servir. Severus ne dit trop rien, ses prunelles d’onyx perdues dans l’espace vide. Puis il revint à la jeune femme. « Comment allez-vous ? »
La jeune femme s'était éloignée de la coiffeuse et se tenait debout dans le milieu de la pièce. Le centre de l'attention, c'était bien son rôle d'acrobate. Elle pencha la tête sur le côté et lui adressa un sourire. Lisa aurait bien fait une petite pirouette ou figure pour s'étendre mais c'était bien superflus. C'était juste un jeu pour elle et un entrainement peut-être. Encore une fois elle fit preuve de self-contrôle et attendit la suite de ses mots.
Elle s'inclina poliment devant lui.
" Je pense être suffisamment en forme pour être présentable au souper. Je vous souhaite une bonne journée monsieur le Duc. Nous nous verrons plus tard. "
Dit-elle en retournant s'installer sur le lit.
Elle avait peut-être poussée un peu fort pour sa première sortie du lit. Ses articulations restaient lourdes. La demoiselle s'installa sur la couverture et s'allongea pour se reposer de nouveau. Il fallait savoir doser, même si elle n'avait qu'une envie de bouger, elle avait conscience que forcer n'apporterait rien de bon.
La remarque de Lisa à son état de santé fit luire les prunelles sombres de l’aristocrate. Il allait toujours bien, c’était évident, un loup blessé était un loup mort si quelqu’un se rendait compte de sa faiblesse momentanée. Jamais il ne baissait la garde, et cela depuis tellement longtemps que sa mémoire pourtant redoutable avait oublié la dernière fois que...Bon. Sa mémoire était exceptionnelle. Il n’aurait jamais oublié un évènement tel, même s’il était de moindre importance. « Voyons je ne vois pas en quoi ce serait une mauvaise nouvelle, Lisa. Je vous dispense de l’étiquette en ma compagnie. C’est tout à fait superflu, je n’aime pas les procédés inutiles quand je peux m’en passer. » L’homme plongea ses yeux dans ceux de l’acrobate. Il préférait qu’elle passe outre. Il voulait un maximum de sincérité, et cela passait par ça pour faciliter l’échange, même si la jeune femme ne serait certainement pas évidente comme source d’infos. « Vous ne pesez nullement. Le Manoir est immense, et je ne fais rien que dire de belles paroles pour être un hôte décent. J’espère vous voir au souper, si vous vous sentez bien. » Un signe de tête, et il prit congé.
Lisa lui lança un regard curieux. Pas le moins du monde gênée par le fait qu'il lui rappelle ses origines bien peu digne en comparaison des siennes. Oui même une femme comme elle, de son rang avait un minimum de standard quand il s'agissait de choisir son corniaud. On ne pouvait pas se permettre un Woolfhound pure blood comme le faisait les lady de la haute coure. Cela n'empêchait pas de vouloir un corniaud avec certaines qualités.
" C'est vous qui le dites. "
Se contenta-t-elle de lui répondre sans donner son avis sur la question. Elle n'allait pas non plus flatter son égo gratuitement, même si le pauvre Duc lui avait offert le gîte et le couvert alors qu'il aurait pu l'abandonner à son triste sort sous la pluie et le vent.
" Ce n'est pas forcément une réponse rassurante. Si vous étiez à deux pas de la mort vous pourriez dire aller aussi bien qu'il se peut, et cela ne serait pas une bonne nouvelle. Enfin, j'espère que lorsque j'aurais quitté votre domaine vous aurez enfin la paix pour vous reposer. "
Elle savait qu'avoir un hôte pouvait se révéler fatiguant et gênant. Elle devinait que le Duc était une créature solitaire et préférait être en sa seule compagnie plutôt qu'avec les autres et l'acrobate déboulait dans sa vie et dérangeait tout. Heureusement pour lui c'était juste temporaire.
Le lord observa de ses onyx la saltimbanque. Ça, des chiens galeux, ils en avaient certainement tous deux côtoyés, chacun dans des sphères bien différentes. Peut-être que Severus n’était lui aussi qu’un chien, seulement avec une apparence bien plus raffinés qu’un cabot sauvage. Mais chaque être humain se roule tôt ou tard dans la fange. « Je suis flatté mais j’ai bien peur d’être terriblement ordinaire...même pour une femme comme vous. » Une phrase bien étrange à n’en pas douter. Le Britannique, à avoir tant jouer avec le feu constamment, à avoir errer dans des flux de pouvoir colossaux, avait endossé bien des rôles en public. Il avait usé avec chacun de couvertures sociales différentes. Toujours pour garder la main. Toujours pour sauver sa peau. Mais ça n’avait pas suffi pour sauver plus. Même avec les femmes, à une époque,il avait développé une autre facette de sa personnalité. Mais cela ne reparaîtrait pas de sitôt. Quoique. Tout dépendrait. « Reposez vous autant de temps qu’il vous siéra. Quant à moi je vais aussi bien qu’il se peut. » Il se permit d’envelopper en un regard la jeune femme. Regard glacial et appréciateur à la fois. Effectivement elle semblait aller nettement mieux. Severus dans ses habits extrêmement sombres et amples cachait l’essentiel de sa personne, avec une aura très particulière. Son teint un peu plus pâle qu’à l’accoutumé ne trahissait que peu d’heures de sommeil, ce à quoi il était habitué depuis très longtemps.
Elle l'écoutait parler, le Duc était talentueux avec les mots et les discours, ce qui n'était pas étonnant au vu de sa condition. Il avait sûrement dû apprendre, ce qu'elle n'avait jamais eu à faire. Peut-être pour cette raison, la petite saltimbanque se permettait des paroles que beaucoup jugeraient déplacer. Depuis sa protection par Keith Lowander, elle avait eu la possibilité d'apprendre auprès de très bons professeurs bien que c'était plus en tombant sur les leçons des enfants de la famille que parce qu'elle avait le droit à sa propre éducation.
" Je n'en doute pas, la majorité de ceux que j'ai connu n'étaient que des chiens aussi galeux que moi. Vous avez au moins le mérite de sortir de l'ordinaire par rapport à eux. "
La jeune femme lui adressa un sourire. Était-ce vraiment un compliment ? Qui sait. Elle n'allait pas être claire. C'était leur petit jeu du chat et de la souris.
Son expression redevint plus tranquille, certains diraient lus correcte mais ce n'étaient pas les gens que Lisa aimait côtoyer.
" Je me sens beaucoup mieux merci. Je pense me reposer encore un peu, jusqu'à demain si vous êtes d'accord et je tracerai ma route pour ne pas vous gêner plus longtemps. Comment allez-vous pour votre part ? "
Demanda-t-elle avec politesse.
Il s'était tout de même rué dans l'orage pour la sortir de sa galère, il devait en avoir bavé un peu aussi.
Décidément, la belle avait des réactions qui sortaient du lot. N’importe quelle jeune femme aurait légitimement sursauté. Ce n’était pas la première fois qu’il arrivait dans le dos d’une...Des souvenirs plus vivaces que de coutume revinrent à l’esprit du Duc. Son visage se fit plus froid, mais cela ne dura pas. Il observait la respiration qui animait Lisa, juste sous ses yeux. Elle était d’un sang froid appréciable, et essayait sans doute de tout garder sous contrôle. « Les livres ne sont que des histoires réelles avec des noms d’emprunt. C’est pour ça qu’on les apprécie. On s’y retrouve, dans un monde où nous sommes affranchi de nos conditions. » L’homme approcha quelque peu. Le regard par dessus l’épaule rencontra les onyx. Il resta silencieux un moment, et répartit avec une voix de velours,celle qu’il avait déjà utilisé auparavant. « Je dépasse la plupart des personnes que vous avez connu. Mais cela vous le saviez déjà. » Cela semblait transpirer l’orgueil, alors qu’il n’en n’était rien. L’orgueil était pour les hommes stupides et faibles. Il jeta un coup d’oeil circulaire le renseigna sur l’état général de son hôte. « Comment vous sentez-vous ? »
La jeune acrobate aurait pu sursauter si elle n'avait pas eu une terrible maitrise d'elle-même. Elle se força à continuer de lui tourner le dos alors qu'elle crevait d'envie de se retourner pour savoir où il se tenait, quelle était sa posture et tout ces petits détails ridicules qui étaient important pour elle. Lisa ferma les yeux et prit une inspiration, elle écoutait les petits grincements des planches en bois qui composaient le parquet pour essayer de localiser avec précision l'endroit où se tenait le Duc. Elle travaillait ses compétences dès qu'elle le pouvait.
Après quelques brèves secondes elle afficha un grand sourire et se redressa sans pour autant lui faire face.
" On peut dire que les livres recèlent toujours de secrets et d'histoires surprenantes. "
Elle finit par croiser son regard, la tête tournée par-dessus son épaule.
" Merci Monsieur le Duc, vous êtes trop bon. Votre charité dépasse de loin tout ce que j'ai connu. "
Déclara-t-elle avec une pointe de malice.
Ce n'était pas pour se moquer de lui, enfin, elle aimait lancer des petites piques, toujours pour évaluer comment il réagirait. En vérité, elle était plutôt contente qu'il lui fasse don de ce livre. Elle pourrait prendre le temps de le lire plus tard.
Le Duc n’arrêtait pas. Ce n’est pas parce qu’il n’était plus directement à la cour de la Reine d’Angleterre qu’il n’avait plus rien à faire ni de rôle conséquent à tenir. Non. C’était un homme de haute naissance, un espion, un bourreau, et à ce jour il avait plus à faire pour tirer les ficelles de royaumes qu’auparavant.
Il tenait une correspondance fournie, codée qui plus est, ce qui réclamait des heures de soin. Il avait en parallèle ses plantes, ses préparations, ses essais, ses recherches… D’ailleurs…
Un revers de main ravageur balaya toute sa table de travail. Il s’appuie sur ses poings, le visage baissé, une sourde fatigue bouillonnait dans les yeux d’onyx. Il n’avait pas mangé ni dormi. Encore une fois. Il était en plein sur une découverte capitale, il la percevait, la frôlait, mais n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Tant pis. Il se maîtrisait toujours, constamment. Il faut dire qu’il avait une part de ses pensées dérobées par la chambre, à l’étage. Lui perdu dans l’obscurité d’un cachot aménagé, ironie qui voulait qu’il s’y sente à l’aise depuis le temps, il se demandait que faire de la saltimbanque.
Il remit rapidement un peu d’ordre dans ses affaires, monta vers la lumière. L’homme commanda à la cuisinière une soupe bien robuste, et décida d’aller jeter un œil à son hôte. Il ne fit pas de bruit, comme à son habitude, seulement un mouvement de cape si on y prêtait vraiment attention.
Il resta silencieux, observant la jeune femme. La voix de velours rompit le silence :
« Décidément, les livres vous attirent. Gardez celui-ci. »
La bohémienne avait dormi pendant une bonne partie de la journée ayant suivi son accident, ne se réveillant que de temps à temps pour boire, manger, et prendre les traitements offerts par le Duc. Elle se réveilla tard dans la journée. Le soleil était en train de se coucher projetant des ombres tel un théâtre d'ombre chinoise, sur les murs de la chambre. Sa fièvre était retombée fort heureusement. Ce ne serait qu'une courte convalescence, elle avait échappé au pire, sans doute grace aux remèdes de son hôte. Il devait être aussi douée qu'elle en herboristerie. C'était intéressant à constater. Il y avait beaucoup de gens comme eux dans le pays, mais rare étaient ceux qui touchaient aux côtés sombres de la chose. Elle se demandait si ces concoctions étaient toujours des remèdes ...
Toujours légèrement affaiblie, elle se redressa et s'assit dans le lit. La pièce était vide, les servants vaquant à leur occupation, Mary avait dû aller préparer le repas. Quant au Duc, elle se demandait bien ce à quoi il était occupé. Il était si mystérieux ce qui forcément donnait envie à Lisa de se montrer curieuse, fouineuse, bien qu'elle ne se permettrait pas d'abuser de sa gentillesse après qu'il l'ait sauvé. Elle n'allait donc pas fouiller le manoir alors que personne n'était là pour la surveiller, mais elle pouvait bien se permettre d'inspecter la chambre dans laquelle on l'avait installé.
La jeune femme laissa tomber ses jambes du rebord du lit. Le contact de ses pieds avec le parquet froid la fit frissonner. Elle se drapa de la couverture fine qu'on avait rajouté à ses draps et se leva finalement. Ses premières pas furent chancelant mais bien vite elle retrouva une stabilité et commença à faire le tour. Il n'y avait pas grand chose. Quelques meubles, la chaise sur laquelle s'était assis le Duc et Mary lorsqu'ils la veillaient, une coiffeuse ... Un miroir se trouver sur cette dernière. Lisa s'installa sur le tabouret et observa son reflet, elle n'avait pas l'air fraîche, ce qui n'était pas étonnant après les heures qu'elle venait de passer à transpirer pour faire sortir le mal de son corps. Elle ouvrit le tiroir de la coiffeuse et découvrit deux livres à l'intérieur. Un semblait être des contes de fée, l'autre un recueil de poésie. La jeune femme les observa quelques temps avant d'attraper le recueil observant la couverture en cuir avec attention. De magnifiques lettres dorées indiquait le nom de l'auteur et le titre de l'oeuvre globale. Elle glissa ses doigts fins par dessus les dorures afin de s'approprier chacune des lettres.
Le Duc savait bien que dans leur monde les alliances n’étaient souvent qu’apparence et que la survie tenait à peu de choses. Toutefois, et peut-être plus que Keith, il savait ménager ses..comment définir...Ses potentiels instruments. Surtout que l’instrument était d’une remarquable facture. Lorsque la jeune femme le retint par le col de son manteau, il faillit avoir un réflexe malheureux au vu de l’état de celle-ci. Mais il avait su se contrôler. Elle n’était pas une menace. Et elle aurait une dette envers lui. Ceci dit, les paroles prononcées éveillèrent une autre fièvre, celle d’un jeu qu’il appréciait autrefois. Et alors que la douce créature de feu se laissait dévorer par une flamme maladive, il la contempla avec un fin sourire, chose très rare chez lui. Mais elle dormait. Personne ne le verrait. Encore penché sur elle, le britannique murmura : « Vous n’avez pas idée. Qui sait ce que l’avenir réserve. » Puis il se redressa, recommanda à Mary de veiller très soigneusement sur elle, et fila préparer la décoction.
La demoiselle ne doutait pas du talent du Duc pour les concoctions, il devait comprendre qu'elle n'avait pas l'habitude qu'on s'occupe d'elle. Après avoir passé une existence de catin qu'on jette à la poubelle lorsqu'elle ne sert plus ou qu'on abandonne à la rue au moindre problème, Lisa se débrouillait seule en toutes circonstances. Même si les temps avaient changé suite à son emploi par Keith, elle n'en demeurait pas moins seule la majorité du temps.
Elle sentait la fièvre brûler de plus belle, elle ne serait pas consciente bien longtemps. La jeune femme se battait pour rester lucides encore quelques instants. Sa main trouvé le col du Duc qu'elle saisit faiblement mais suffisamment pour le retenir près d'elle après qu'il se soit abaissé pour murmurer à son oreille.
" Vos talents semblent infini. J'ai comme l'impression qu'aucun autre ne vous arrive à la cheville en terme de dextérité, vous devez faire bien des envieuses. "
Elle rigola, la fièvre l'entrainant dans un délire étrange.
" Je suis presque déçue d'avoir été inconsciente à ce moment là, j'aurais aimé être le témoin d'un tel don. "
Sa main retomba sur la couverture tremblante, à bout de force. Elle lui offrit un sourire malicieux avant de s'endormir de nouveau.
La question très précise qui fusa de la couche arracha un sourire appréciateur à Severus, bien que ce sourire demeure purement mental. Elle avait du cran. « Vous ne m’apprenez rien. Je comptais vous faire un remède de ma connaissance à partir de ces plantes. » Il arborait la même mine austère face à la jeune femme alitée, en étant peut-être un peu plus pâle qu’à l’accoutumée à cause du peu de sommeil. Toutefois il commençait à s’intéresser sérieusement à la troubadour. C’était amusant de constater les effets du caractère bien trempé même dans ces circonstances. « Je le ferais quand même » reprit la voix soyeusement « Par pur soucis de cordialité entre nous. Il ne sera pas surpris que je vous ai...retenu. » L’air suspicieux de la bohémienne alluma une flamme amusée, très discrètes, dans les obsidiennes qu’étaient les prunelles du Duc. « Oui. Dois-je vous en détailler les nombreuses raisons plus honorables les unes que les autres ? » Le Britannique se pencha à l’oreille de la gitane et murmura « Et croyez-moi, je suis capable d’armer un pistolet dans la nuit la plus complète, alors je peux bien vous changer sans regarder...même si je ne te dis pas que c’est ce que j’ai fait. »
Elle reprenait peu à peu ses esprits, les souvenirs de son accident déjà présent dans son esprit. Quelle imbécile ! Comment n'avait-elle pas réussi à éviter la branche ? Sans doute aveuglée par la pluie qui lui fouettait le visage avec violence. Elle avait horreur d'être redevable, mais elle devait bien l'admettre : sans l'intervention du Duc elle aurait fait face à de plus gros problème.
Ses yeux se posèrent sur Severus qui s'était levé de son siège pour venir passer une main sur son front brûlant. Elle avait de la fièvre sans aucun doute. Bientôt les hallucinations reprendraient. Il fallait qu'elle profite de ce moment de lucidité du mieux qu'elle pouvait.
" Vous n'auriez pas quelques feuilles de tilleul ou bien de la camomille ? "
Demanda-t-elle avec un calme presque déconcertant.
Elle mettait toutes ses capacités au travail pour réussir à connecter les neurones encore en alerte de son cerveau. La jeune femme était si habituéé à s'occuper d'elle toute seule, qu'elle était prête à se préparer son propre remède si le Lord pouvait lui fournir les ingrédients.
" Pas la peine de prévenir Keith. Il est bien trop occupé. Je serai remise sur pieds d'ici quelques jours, il ne s'en rendra même pas compte. "
Dit-elle avec un demi sourire.
Á quoi bon l'importuner ? Keith Lowander ne l'attendait pas pour un rendez-vous précis. Elle pourrait toujours rattraper le temps perdu en faisant quelques nuits blanches sur son retour.
Lisa restait sous la couverture gentiment replacée par Severus. Elle baissa les yeux et regarda ses vêtements. Ce n'étaient pas les siens. Elle relava les yeux vers le Duc d'un air suspicieux.
" Vous m'avez changé ? "
Questionna-t-elle en le fixant droit dans les yeux.
Entendre prononcer entre les lèvres de la jeune femme le nom d’un de ses uniques alliés se rapprochant d’un « ami » provoqua en Severus d’étranges réflexions qu’il se proposa de poursuivre en veillant la bohémienne. Tandis que son esprit se perdait en conjectures et méditations en tout genre qui concernaient plus ou moins la femme se trouvant dans le lit, il entendit un murmure. En une enjambée l’homme se trouva au chevet, ses yeux se plongeant dans ceux de Lisa. « Il semblerait que vous vous soyez...cognée. Restez tranquille et dormez, vous êtes en sécurité ici. » Il passa une main glacée sur le front de la gitane : il était brûlant de fièvre. Severus fit l’analyse en quelques secondes, rien d’inattendu au vue des conditions dans lesquelles il l’avait trouvé. « Je m’occupe de faire prévenir Keith. » Sa voix veloutée était plus basse qu’à l’accoutumée puisque la jeune femme souffrait, il avait la délicatesse spontanée de l’épargner le plus possible. Il lui fallait écrire à son ami. Et que Mary s’occupe bien d’elle, qu’elle se remette au mieux. Quant à lui il préparerait une décoction qui accélérerait la guérison. Il remit, par soucis de rigueur, la couverture bien placée au-dessus du corps frêle.