Les doigts arrangèrent avec une délicatesse exquise les volutes végétales qui débordaient de l'étagère. La main s'enquit de la rare plante qui peinait à survivre à tous ces changements si détestables et nuisibles à sa beauté sulfureuse. La peau pâle tranchait avec la vitalité des couleurs, et la stature sombre enracinée au milieu de cette petite verrière en verre et fer forgé arrêtait net le flot de lumière automnale. L'homme huma longuement les parfums que dégageaient ses toxiques rejetons. Toujours d'ébène vêtu, l'étrange personnage était revenu à sa solitude si recherchée après la réception d'il y a un mois maintenant. Personne ne savait trop ce qu'il faisait, mais personne ne voulait le savoir. Le peu de domestiques servant dans le vaste Manoir craignait tous le Maître, à part peut-être cette vieille cuisinière à la langue aussi tenace que le regard du Duc était noir. D'un pas à la fois ample et vif, l'aristocrate quitta le soin de ces plantes que lui seul pouvait entretenir. Il traversa sa demeure, descendant au sous-sol qu'il avait fait réaménagé récemment. Dans une pièce qu'on ne pouvait deviner qu'en connaissant chaque pierre de l'unique accès, bouillonnait paisiblement un chaudron. Le Duc vint s'occuper de celui-ci, une ride de réflexion plissant le grand front. On aurait pu croire à un cabinet de curiosité, mais un connaisseur aurait su qu'il ne s'agissait plus de curiosités à ce stade. Ceci fait, le Lord remonta à la surface. Au grand dam d'Anna, la fameuse cuisinière, il ne daigna pas prendre un déjeuner, même rapide. Trop de chose à faire. Il avait ordonné qu'on lui selle son cheval tout à l'heure, et il devait encore approfondir son étude d'un fameux botaniste du XVème et une théorie intéressante sur les propriétés de la pièce qui lui manquait... Soudain un carillon l'avertit qu'un invité avait franchi le seuil de sa demeure. L'homme s'arrêta net et revint sur ses pas.
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Elle hocha la tête. Malheureusement. Hélas on s'y faisait. Après tout lorsqu'on avait déjà ôté la vie, on savait bien que son tour viendrait un jour ou l'autre potentiellement dans l'agonie la plus terrible. Si elle se réveillerait demain ? Lisa n'en savait rien. Elle ne s'habituait jamais au confort car qui sait si elle ne se lèverait pas prisonnière demain ?
" Vous pouvez frémir d'avance. "
Se contenta-t-elle de répondre avec un sourire, les yeux levés en direction de l'imposante stature qui faisait planer une ombre sur la table.
Elle se leva à son tour et s'inclina respectueusement devant le Duc.
" Je n'y manquerai pas. Merci de m'avoir accordé votre temps milord. "
Au moment même un domestique toqua avant d'entre, venant annoncer que le repas de Lisa était servi. Elle s'excusa auprès de son hôte et disparu à la suite du domestique.
"Il ne faut jamais s'accoutumer à quoi que ce soit, voyons. C'est une leçon évidente pour ceux qui chaloupent entre les mailles de la bonne société." L'homme se leva, sa stature causant une certaine ombre sur la table. Il finit d'un mouvement sec son verre, observa encore un instant la jeune femme. Assurément,elle reviendrait, et sa remarque ne le fit même pas tiquer. C'était prévisible, mérité quelque part quand on tâtait le terrain, quand on cherchait à cerner son interlocuteur. "Je frémis de terreur. Vous seule serez témoin du manquement à ma parole...ou à son accomplissement." Certes, on pouvait clairement interpréter cette parole comme une menace. Mais tous deux savaient que les mots échangés étaient à mi-chemin entre tension et humour noir. Un regard à travers la baie lui apprit qu'une tempête s'annonçait. "Bien. Remerciez mon ami de ma part."
La jeune femme ne put retenir un rire qui résonna dans la pièce où ils se trouvaient. Un rire cristallin, bien trop innocent pour lui appartenir. Une expression franche de ce qu'elle ressentait en ce moment même. Bien qu'elle sache porter le masque, Lisa n'en demeurait pas moins elle même, une jeune femme qui allait droit au but sans passer par quatre chemin. Les mensonges, les secrets, cela n'avait jamais été sa tasse de thé jusqu'à ce qu'elle tombe dans le monde de l'ombre.
" C'est dommage, je m'y serai bien faite. "
La demoiselle baissa les yeux quelques secondes. Dommage, elle appréciait la botanique et comme le Duc semblait être connaisseur lui aussi, son jardin devait être grandiose. C'était un homme méticuleux et appliqué, il devait en être de même dans ses serres. Mais une lueur d'espoir vint s'ajouter à la discussion. Elle le fixa d'un regard sceptique, comme si elle ne le croyait pas, remettait sa parole en doute.
" Sachez que j'ai tendance à rendre misérable la vie des hommes qui me déçoivent, ne faites pas de proposition que vous ne pourrez tenir. "
Déclara-t-elle d'un ton léger, plaisantin. En effet, c'était une fois encore une petite pique pour agacer le Duc voire le faire réagir car au fond il avait habilement choisi ses mots : aucune promesse de faite. Le choix lui appartiendrait la prochaine fois que Lisa serait une invitée en son domaine.
A la remarque plus ou mois fine mais appropriée de la jeune femme, le Duc eut un mouvement sec de la main, dessinant une courbe dans l’espace, comme s’il contemplait une de ces ‘’fleurs’’ imaginaires : « Tout dépend de la fleur, ma chère. Je suis homme à savoir ce que je veux, à l’obtenir, et bien peu oserait désirer ce qui est mien. Je crois que mon rapport avec les gens est très facile à saisir. » Il la dévisagea, amusé par les imperceptibles réactions de l’acrobate. L’homme devinait sans peine qu’elle était à la pêche aux informations, et qu’il l’intriguait. Il était vraisemblablement intriguant, c’est un fait dont nul ne pouvait douter quand il se comportait de cette façon. Il savait quoi faire pour la faire réagir, simple mais efficace. « J’espère bien. Ne vous habituez pas à cela. » Railla-t-il, saisissant de ces longues mains le plant, en observant en une fraction de secondes l’intégralité de celui-ci. Il savait déjà exactement tout ce qu’il pourrait en faire . « Je reviens extrêmement rarement sur mes dires. Cela dit je ne doute pas que vous soyez femme à vous intéresser à des domaines variés, ce qui est tout à votre honneur. » Severus décroisa les jambes, reprenant un posture moins décontractée, et sa stature devint plus imposante à nouveau. De sa voix soyeuse il ajouta : « Non. Mais si jamais vous avez l’occasion de revenir en cette contrée, peut-être pourrez-vous découvrir le parc. » Invitation grossière, elle la saisirait ou non en temps voulus.
Elle l'écouta développer très brièvement son rapport avec le Lowander. Il était toujours bon d'obtenir des informations par diverses sources au sujet de celui à qui on prêtait allégeance. Parfois des informations bien utiles filtraient entre les mailles du filet et chez Lisa, elles finissaient rarement dans l'oreille d'une sourde.
Lisa sirota quelques gorgées de thé chaud. Agréable au vue du temps dehors. Elle aurait aimé se blottir dans une couverture en laine auprès d'un feu et observer les flammes danser. Une petite escapade qu'elle ne pouvait actuellement pas se permettre.
" Vous aimez partager ? Ou êtes vous un homme qui collectionne les fleurs pour lui tout seul, ne les révélant jamais au monde ? Comme vous ne me laissez pas visiter votre jardin, peut-être êtes vous de ce genre là. "
Plaisanta-t-elle, ne croyant bien évidemment pas que le Duc cachait un harem quelque part dans son manoir.
" D'ailleurs voici votre commande, vous avez été très accueillant, je vous dois bien cela. "
Dit-elle en sortant finalement la commande de Severus sur la table.
" Mais tout de même, si l'envie vous en prend, si vous changez d'avis sachez que contrairement à mes moqueries et bêtises de tout à l'heure, j'aime beaucoup visiter les jardins. Finalement ne suis-je pas comme toutes les jeunes filles ? "
« Oh Keith vous en dirait plus que moi sur ce vaste sujet que celui de notre lien. Aussi étonnant que cela paraisse nous ne sommes pas rivaux. Parce que nous savons que si un jour nous souhaitons la même chose le choc sera rude. Donc autant ignorer la question, partager les mets fins, les fines fleurs de la vie... » Et ce qu’il fallait avouer s’il fallait être honnête : les deux hommes se connaissaient, s’estimaient l’un l’autre sous certains aspects...mais chacun savait la vérité. Si jamais il y avait un conflit, Severus saurait se faire craindre de Keith. Celui-ci jouait sur un rapport amical, tout en sachant parfaitement que Severus n’aurait lui non plus aucun scrupule à l’éliminer en cas de besoin. C’était sa solitude, un principe essentiel à son être et à son pouvoir en ce bas monde. « Ah l’exclusivité, un bien beau concept... »
Répondit-il, avec un regard plus intense s’il était possible.
Sans doute. Lisa ne l'avait pourtant jamais vu comme ça car c'était un désir particulièrement égoïste que de vouloir être libre et sans attaches. Cela signifiait qu'on ne dépendait de personne, mais plus encore que personne ne dépendait de nous. Bien sûr la liberté totale était une illusion, un rêve que personne n'atteignait. Cependant la bohémienne se laissait aller parfois à imaginer cette liberté, à s'aveugler le temps d'une échappée, et cette illusion lui convenait.
La discussion était sérieuse aujourd'hui, différente de la première fois. Enfin, ils en étaient encore au stade du jeu du chat et de la souris, et le Duc aimait jouer le rôle du chat mais il était loin d'avoir la grâce féline de l'acrobate.
" Keith est un être redoutable comme vous venez de le souligner. Je ne le sous-estime pas. Il m'a déjà plusieurs fois surprise de par ses projets. J'ai de la peine pour ceux qui se retrouvent dans ses mauvaises grâces, ils n'ont guère de la chance. Ce qui me surprend d'ailleurs c'est que des êtres comme vous et Keith puissent partager un semblant d'amitié ou dirons nous d'entente. J'aurais cru que deux fortes têtes avec des objectifs précis n'auraient pas d'intérêts à s'unir, car inévitablement l'un se trouvera sur les travers de l'autre et ça ne peut que mal finir ? Ou bien êtes vous véritablement uni par les liens purs et innocents de l'amitié ? Là est toute la question. "
Effectivement ce n'était nullement une surprise. D'ailleurs Lisa devait avouer qu'elle les avait cherché durant la réception. Qui dans la salle travaillaient pour tels ou tels Nobles Aristocrates,
c'était un jeu marrant pour passer le temps. Un jeu complexe car ils étaient discrets, honte à celui qui se ferait repérer le premier.
" C'est bien ce que je me disais, vous n'êtes pas en quête de compagnie. Tant mieux, cela m'aurait ennuyer de devoir décliner votre offre. Ce n'est jamais réjouissant de devoir refuser une bonne opportunité, mais contrat oblige. "
Lâcha-t-elle avec un petit sourire mystérieux.
« Je vois. » Cela confirmait sans peine le côté ‘’je n’ai rien à perdre’’ qu’il avait senti. Bien, fort bien. Poursuivons l’inspection. « C’est ce qui vous rend infiniment rare aux yeux de ceux qui ne se l’autorisent pas. Ils vous demandent de saisir un soupçon de liberté pour eux, car ils refusent de prendre ce risque. » Le Lord dialoguait à la fois en toute simplicité mais chacun savait pertinemment les dangers qu’ils représentaient. Enfin, il savait que la jeune femme avait conscience de jouer avec quelqu’un qui prendrait les moyens d’avoir le dessus. « On considère tous autrui comme un pion. La plèbe considère la sphère supérieure comme tels, plus ou moins consciemment selon le degré d’intérêt et de réflexions à ce sujet. Si Keith est prévisible, il n’en reste pas moins redoutablement efficace hélas. J’espère pour vous que vous n’aurez pas à en pâtir. » Les hommes rusés étaient une plaie, à n’en pas douter, pour eux deux. Quoiqu’il en soit, il croisa à nouveau les doigts, mais plus devant son visage. « Vous êtes efficace aussi il semblerait. Un contrat ? Je suis un solitaire. Toutefois j’aime à me ménager des alliances...Quant aux pions, ni vous ni moi ne saurions surpris de savoir que j’en ai. »
Il resta derrière sa chaise pour ce qui sembla être une éternité à la jeune femme, sans doute à cause de la tension qui émanait d'eux. Le genre de sensation qu'on peut ressentir lorsqu'on marche sur la corde, suspendu à des mètres du sol, avec la grâce d'un acrobate. Il s'installa enfin en face d'elle. Son regard semblait toujours aussi sévère que lorsqu'elle avait croisé sa route à la réception, comme s'il ne souriait jamais. Peut-être était-ce mieux qu'un sourire faux ?
Lorsque la domestique entra pour venir poser les boissons devant eux sur la table. La jeune femme eut la même réaction que la première fois, une méfiance qu'elle était si accoutumée à avoir, qu'elle évitait de boire préférant poser ses doigts sur la tasse et les laisser glisser sur la porcelaine étincelante. La bohémienne finit néanmoins par boire, ayant déjà bu en compagnie du Duc, cela lui semblait moins dangereux, même si elle savait mieux que de laisser la familiarité faire baisser sa garde.
" Oublier ses chaînes quelques instants c'est un risque que je suis prête à prendre même si cela cause ma perte. "
Il fallait bien se le permettre par moment, sinon que lui restait-elle ?
" Qui ne considère pas la plèbe comme de simple pion sur l'échiquier ? J'attends encore de rencontrer un Noble qui pense qu'un citoyen lambda comme plus qu'un pion à manipuler. Mais c'est facile de savoir ce que mijote Keith Lowander, c'est moins risqué que de faire face à une personne plus rusé. Si on est sous-estimé cela permet de duper l'autre plus facilement, d'anticiper ses plans. Et de toute façon, quel est le but de cette conversation si ce n'est que vous n'auriez vent d'un contrat intéressant ? Je doute que vous soyez simplement concerné par la situation d'une fille de mon genre. Ne seriez vous pas un autre homme à la recherche de pions ? "
La jeune femme s’installa. Sans mal, Severus avança comme il se devait la chaise et son occupante. Diantre, celle-ci n’était pas aussi lourde qu’il l’avait estimé à priori. Sa franchise, le fait qu’elle semble jouer carte sur table était intéressant. A moins qu’elle bluffe avec un talent que jusque là personne n’avait eu en face de lui, elle n’avait rien à perdre. Il resta volontairement un moment derrière elle. Il avait perçu la contraction des muscles de l’acrobate, et eut un rictus invisible pour elle. Il n’avait en rien perdu son aura, tant mieux, même si elle le masquait avec brio. Ses doigts percevaient presque la chaleur de la peau de la jeune femme, avant qu’il ne les retire en un mouvement silencieux que seul souligna le bruit de l’étoffe. Il s’assit non loin, croisant négligemment les jambes et les doigts. Son regard perçant restait planté sur Lisa, la scrutant elle et chacun de ses mots. « Chacun homme en ce monde a des chaînes, et ceux qui le nient n’y demeurent en général pas longtemps. Aspirer à des bouffées de liberté est une chose, se les offrir une autre. » Au bout de quelques minutes un domestique apporta coupelles et boissons, fait que Severus remercie d’un mot frugal. Une fois le serviteur disparut, il reprit tranquille, son regard d’obsidienne toujours posé sur elle. « Keith n’est pas le pire...Mais est loin d’avoir le plus à offrir. Il vous considère comme un pion, je le devine sans mal. Et je devine également qu’il vous sous-estime. Ça a toujours été son défaut. » Il ajouta d’une fiole tiré de sa veste sombre un liquide ambré dans son thé. « Et même s’il ne vous assigne pas aux plus viles besognes, vous rongerez votre frein à son service. »
Elle marchait avec légèreté en arrière du Duc, toutes ces années à jouer les acrobates, elle était aussi silencieuse qu'un félin à l'affût d'une proie quand elle se déplaçait. Seuls ses anneaux de fer brillant, toujours pendu à l'un de ses vêtements : jupe, foulard, ou haut pour faire du bruit, masquant sa discrétion naturelle.
Lorsque Lord Severus lui offrit une chaise, elle s'installa avec une docilité déconcertante. Un agneau qui se jetait dans la gueule du loup. Dans son dos, elle sentit comme une tension nouvelle, mais peut-être qu'elle avait simplement toujours était présente, juste amplifié en ce moment. La bohémienne garda les yeux sur la table, demeurant immobile.
" J'ai toujours fait partie de la plèbe mon cher Monsieur. La liberté de laquelle je jouissait à l'époque me fait rêver, toutefois j'ai conscience que c'est une époque révolu pour moi. Á présent, ou que j'aille j'aurais des chaînes qui entraveront ma route. Autant choisir les plus légères. Je ne cherche pas une position particulière, juste l'illusion de liberté de temps à autre. C'est tout ce dont j'ai besoin. Le reste je l'accepte. L'accord que j'ai avec Keith me convient pour le moment. C'est un des rares qui n'exigent pas de contrepartie physique si vous voyez ce que je veux dire, enfin du moins pas celles là. "
Répondit-elle en restant très calme.
Que dire de plus ? Sa situation actuelle ne faisait rêver personne c'est sûr, mais sa situation passée était pire encore. Pouvait-on vraiment se plaindre ? Ce n'était pas comme si elle avait un objectif à atteindre à présent. Impossible de retourner voir sa famille. Pas après ce qu'elle avait vécu, elle se ferait sûrement jeter des pierres.
Sans se retourner le Noble Anglais répartit de son ton égal à l’accent faisant chanter les mots un peu différemment : « On peut vous en vouloir de trop bien vous conformer à ce rôle, ce qui peut vous faire perdre en crédibilité quand on soupçonne une tout autre malice. Je connais suffisamment ces miséreuses, comme vous vous qualifiez si spontanément. » Il continua à se prêter au jeu, tout en montrant quelque ambiguïté quant à l’amicalité de sa badinerie. Severus Prince ne badinait jamais. Une fois dans le grand salon, le principal, qui servait aussi pour les occasions de lieu de festin, le Duc recula d’un mouvement vif une chaise, se plaça derrière, faisant comprendre clairement que la jeune femme devait s’y installer, en une parodie d’étiquette. Ses doigts enserrant fermement le panneau de bois de la chaise, il attendit, droit et roide. « Serait-ce donc ça, votre but ? Devenir une courtisane de luxe par le biais de Keith ? Vous extraire de la fange dans laquelle pour je-ne-sais quel motif obscur vous vous êtes fourrée pour regagner un semblant de position et ne plus être la chienne de qui que ce soit ? » Railla-t-il. « Pardon de vous décevoir belle et charmeuse créature, mais vous le savez comme moi que Keith ne vous permettra pas cela. » Poursuivit-il sur le même air de badinerie légère.Ils se testaient, se détestaient cordialement sur le papier, mais Severus cherchait à en savoir toujours plus. Et on était toujours le chien de quelqu'un.
L'écart se réduisit et bientôt c'était comme s'il n'y avait plus d'échappatoire pour la jeune femme. Ceci dit, au vue de sa flexibilité, elle aurait très bien pu se courber et se défaire de cette cage métaphorique qui s'était formée autour d'elle, composée en grande partie du corps du Lord mais également de la tension oppressante qui l'entourait. Elle resta immobile à le regarder droit dans les yeux, ne fuyant pas une seule seconde. C'était sans doute son plus grand défaut. Ce regard de défi qui ne quittait jamais son visage. Combien de fois dame Peacock l'avait gifflé pour la punir de défier les hommes qui malmenaient son corps. " Baisses les yeux en présence des clients ! " " Montre plus de douceur. " " Cesse de te montrer offensante, je vais t'apprendre à résister comme une idiote. " Oh elle avait pris cher de nombreuses fois. Ces blessures n'étaient pas seulement le fruit des hommes qui lui passaient dessus, non. Les punitions avaient été nombreuse, et pourtant, pour garder espoir, pour se rebeller, son regard avait longtemps était sa seule arme.
" Je fais partie de ces miséreuses, qui comme toutes les autres, pense choquer avec ses mots dans l'espoir d'attirer l'attention, qu'on m'accorde enfin un regard. Peut-on m'en vouloir ? "
Elle laissa s'installer une seconde de silence avant de reprendre aussi vite.
" Et puis si vous me proposer un thé en votre compagnie, c'est que mon charme marche au moins un peu, non ? Ou alors vous êtes vraiment un bon samaritain qui offre le même protocole à la plèbe qu'à ces égaux. Mais ayant déjà répondu à cette question, j'ai ma petite idée. "
Conclut-elle malicieuse avant de le suivre.
Le rire de la jeune femme provoqua le légendaire haussement subtil du sourcil du Duc. Ainsi il la faisait. C’était une réaction appréciable. La plupart des gens courbait l’échine devant lui, car ils avaient peur de ce qu’ils ne savaient pas, et que l’on ne savait rien de lui...Et le peu d’informations le concernant n’avait rien pour rassurer cette plèbe qui se contentait de survivre, comme chaque être vivant. Il nota ce rire comme à l’avantage de sa créatrice, ajouta qu’il était dans la logique du personnage. A la réplique insolemment appréciable et toujours dans la logique provocatrice, Severus s’approcha de deux pas, ce qui augmenta la proximité de façon sensible, et posa sa main sur le mur à côté de la tête de la bohémienne. « Sachez que votre ironie mordante qui doit faire sourire la plupart des hommes à qui vous l’adressez, sans doute parce que vous supposez que cela fait votre charme, n’est qu’un artifice très répandu. » répliqua-t-il avec son acide habituel, de sa voix étonnamment soyeuse. « Et pour terminer je peux vous proposer un thé en ma compagnie en un simulacre de protocole où vous seriez une invitée honorable et moi un Lord plus que courtois. » Sur ce il ôta sa main de la paroi, tourna les talons en un mouvement de cape à la fois exagéré et si naturel, et partit en direction du salon.
Elle rigola à sa remarque. Peut-être qu'elle avait surestimé sa bonté effectivement? Ou pas. La formulation de Lord Snape était simplement marrante. Elle n'attendait pas moins de lui depuis leur première rencontre, la saltimbanque savait qu'il parlait avec une franchise tranchante, au moins devant elle. Mais franchise n'était peut-être pas le mot le plus adéquat puisqu'ils étaient tous deux à cacher leurs véritables intentions derrière le masque des apparences et des jeux de mots.
" J'aurais cru que vous me feriez visiter votre jardin de plantes de façon à ce que je puisse contempler les fleurs et m'extasier devant les papillons et leur ballet aérien comme se doivent les filles de bonne famille. Mais si vous insistez un peu plus, peut-être que je vous les donnerai ici dans ce hall. "
Déclara-t-elle avec un ton dramatique.
La question qui se posait était de savoir s'il aurait demandé la même chose à un Noble, s'il ne l'aurait pas plutôt emmener dans un de ces beaux salons pour lui offrir un thé, parler de superficialités affligeantes avant de recevoir ses biens en main propre. Loin de Lisa d'avoir envie d'un tel traitement, mais une chaise n'aurait pas été de refus. Cependant sa condition n'était pas celle d'une lady, et elle était habituée à pire donc elle commença à chercher dans sa besace.
L’homme jeta un rapide coup d’oeil à la besace qui était au flanc de l’acrobate. Quant au regard de défi lancé par son invitée surprise, Severus n’en montra rien, mais cela l’amusa: tous deux fonctionnaient par des mécanismes toujours identiques, qui se heurtaient mais au fond ils étaient conscients que ce n’était qu’un jeu. « Je ne vous sous-estime pas, je me contente de répondre aux critères minimaux d’un hôte. Par ailleurs cessez de vous offusquer pour un motif aussi faible. Ne me prenez pas pour le bon samaritain. » Ses yeux se firent plus noirs pour accentuer sa fin de phrase, comme s’il était possible que l’obsidienne de son regard devienne plus ténébreuse. Puis un très mince rictus courba les lignes fines. « Quant à la commande je vous prie de bien vouloir me la remettre. » Sur ces mots il tendit la main d’un air presque excédé ; qu’imaginait-elle, qu’il lui ferait une visite du Manoir ? « Sans être fragile, et croyez bien que je ne le pense point, vous êtes humaine et ma cuisinière se fera une joie de vous préparer quelque chose. »
" Elle même ! "
Répondit la jeune femme lorsque le Lord prononça son prénom.
Le sourire ne quittait pas son visage, il rayonnait jusque dans la profondeur de ses yeux. Pour la saltimbanque, difficile de ne pas afficher son visage de spectacle accueillant, une nécessité lorsqu'on se trouvait dans une situation bancale comme la sienne. Même si depuis quelques temps, elle s'était garantie une place relativement sécuritaire.
Elle opina de la tête à sa phrase, évidemment, comme si la question se posait.
" J'ai tout ce que vous avez demandé dans mon sac. "
Déclara-telle en désignant la besace appuyé contre sa hanche.
La jeune femme y porta les yeux pendant quelques instants avant de se retrouver surplomber par le Duc. Il était plus grand qu'elle et de son statut il la dominait aussi bien physiquement que par les titres de noblesses. C'était mal connaitre la petite que de croire qu'elle se plierait aussitôt dans une courbette docile. Elle croisa son regard et le défia comme elle faisait toujours avec les hommes qui la prenait de haut, pas que Severus la provoque ainsi. Lisa se doutait que c'était simplement sa façon de faire.
" Fatiguée ? Affamée ? Hmm vous me sous-estimez. Je n'ai rien contre vos gentilles attentions, que j'accepterai avec plaisir, mais ne croyez pas que je suis de constitution si fragile que je ne peux pas voyager sans arriver en miette à mon lieu de rendez-vous. Détrompez vous, je suis en bonne forme ! Alors dites moi plutôt où je dois livrer votre commande ? "
Elle chercha des yeux le couloir ou la porte qui menait à l’atelier où il travaillait ses élixirs, car il ne pouvait pas simplement user de ces plantes pour pimenter sa cuisine, il en avait forcément un autre usage.
Face au grand sourire de la bohémienne, artiste, ou quoiqu’elle soit vraiment, pas un trait du visage du Duc ne cilla. Il fit comme si sa présence était prévue et prévisible, et nul ne saurait dire ce qu’il pensait réellement de tout ceci. « Lisa. » Il posa sur une table non loin ce qu’il tenait dans les mains, revint vers la jeune femme. La toisant un bref moment de son regard d’obsidienne, le Lord prit un air comme légèrement impatient : « Avez-vous ce que j’ai demandé à Keith ? Je suppose que oui. » Ce qui signifiait, de son ton pince-sans rire ‘’qu’avez-vous à rester planter là sans rien faire’’. Il resta devant elle, la dominant de sa stature imposante qu’accentuait sa tenue sombre et la cape qui enveloppait ses mouvements. « Je suppose que vous êtes fatiguée et affamée. Je vais veiller à vous faire donner une chambre et un repas vous sera préparer diligemment. »
" Est-ce que tu peux porter cela au Manoir Prince de ma part s'il te plait, c'est important et je n'ai pas le temps d'y aller moi-même. " Les mots de Keith avant qu'il ne l'abandonne dans la calèche pour un voyage de plusieurs jours en direction des terres Mackinnions.
Elle avait fait la route jusqu'à la résidence du Duc sans trop se poser de questions. Á vrai dire elle savait parfaitement les raisons qui avait poussé le Sir Lowander à la choisir, et cela ne l'enchantait guère. Mais Lord Snape suscitait sa curiosité à bien des égards, alors au lieu d'envoyer son mécène paitre comme elle l'aurait fait si la mission était vraiment inintéressante, elle s'était abstenue de commentaire et s'était pliée aux règles.
Arrivée devant la demeure, elle avait toqué à la grande porte en bois avant qu'on ne lui ouvre une minute plus tard. Un domestique qu'elle avait aperçut à la réception, un mois auparavant, elle lui avait tendu le billet de Keith Lowander, expliquant qu'elle était là pour porter une commande au Duc.
Ce dernier ne tarda pas à apparaitre, il avait l'air en pleine réflexion, bien occupé par ses affaires mais visiblement lorsqu'il se rendit compte de qui était l'invité du jour, il s'arrêta en marche. La jeune femme lui adressa un grand sourire. Comment ne pas réagir ainsi ? Il devait se douter aussi bien qu'elle ce qui les réunissait aujourd'hui ? Cela lui apprendrait à demander de l'aide à Keith. Mais peut-être que ce n'était pas une si mauvaise chose après tout ?