Tout se déroulait à la perfection. Evidemment, car le Duc avait vu les choses en grand , et dans leurs moindres détails. Il se montrait fidèle à lui. Personne ne saurait de lui plus qu'il ne voulait en donner. Et cela se réduisait à bien peu de réalités. Ses ennemis fort nombreux n'auraient jamais aucun appui sur lui. Plus jamais en tout cas. L'esprit de l'espion était une forteresse, condition sine qua non de sa terrible fonction. Mais ce genre de réception mobilisait énormément ses facultés. Il se devait d'enregistrer chaque habitude, chaque histoire familiale, chaque alliance ou rivalité, chaque visage...Une habitude et une nécessité. Or il était encore fatigué de son voyage, et de ce qui avait précédé. Son corps maltraité et son esprit affaibli protestaient, bien qu'il refoule tout ceci. Seulement il avait besoin de s'abriter un court instant de toutes ses lumières qui blessaient ses yeux habitués à l'obscurité. Il voulait un peu de silence, juste une pointe de silence pour remettre mieux en place le mécanisme de ses stratagèmes. Aussi s'éloigna-t-il avec talent de ses invités pour soit-disant donner quelques ordres en des lieux moins propices à cette ''brillante'' société dont il n'avait cure. Néanmoins tant que son coeur battait dans sa poitrine, n'en déplaisent à ses ennemis, il ferait en sorte de se ménager une sécurité permanente. C'était un peu absurde, étant son attachement à la vie très faible. Ombre imposante, il ouvrit d'une main ferme la porte menant à un salon privé de taille plus modeste, presqu'intime. Là, dans l'obscurité dans laquelle il se sentait plus à l'aise, il se servit un verre de whisky et s'adossa au mur.
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Le Lord resta un moment debout, appuyé sur le linteau de la porte, plongé dans les sombres engrenages de son esprit qu'on jugeait parfois maléfiques. Non, ce soir la discussion s'éteignait. Mais les braises rougeoyantes demeuraient dans l'âtre, et la flamme qui une fois a brillé connaîtra comme le phoenix un renouveau. A la salutation de l'acrobate, Severus resta très roide physiquement. Ses yeux ébènes se plantèrent dans ceux de son interlocutrice une dernière fois. -Dieu sait. Mais on peut l'aider. Une fois qu'elle fut partie, il s'astreignit à rejoindre la plèbe qui se languissait de sa présence.
Lisa rigola à sa remarque qui visait juste, comme chaque fois. Elle s'avança dans sa direction pour poser une main délicate et très légère sur son épaule, une fossette au coin des lèvres, mais seulement d'un côté, le gauche si on y faisait attention.
" Sauf peut-être à ce qui m'intéresse, mais ça nous n'en parlerons pas ce soir. "
Elle se dirigea vers la porte à la suite de son hôte qui l'invita à passer devant. Elle tira une courte révérence avant de sautiller à l'extérieur de la pièce. Si un invité voyait ça, il croirait sans doute que ces deux là n'avaient pas fait que jouer au scrabble dans le salon privé. Mais l'important était que les deux concernés sachent ce qui avait eu lieu, et ils s'étaient jaugés chacun de leur côté.
" Bonne fin de soirée mon cher Duc. Nos routes se recroiseront peut-être, qui sait ? "
Lança-t-elle en s'éloignant avec légèreté comme si rien de sérieux n'était arrivé.
Le Duc se permit un soupir quelques peu blasé. Soit, il reverrait cela à l'occasion. Toutefois l'intérêt de la jeune femme n'était pas passé inaperçu, tout comme sa façon maladroite de refuser l'offre faite à l'instant par le maître des lieux. -Non, il est avéré que vous ne touchez jamais à rien. Laissa-t-il tomber avec cynisme, voulant rappeler la brillante approche de la danseuse tout à l'heure dans la salle de réception. L'époque où on le surnomme vulgairement le bâtard, dans les cachots, reviendrait sans nul doute. La chauve-souris, le vampire...Il eut mouvement dédaigneusement amusé des lèvres. -Nous avons chacun notre public ma chère. Fuir et illusionner est un art consommé. Il rouvrit la porte, la laissant passer selon les codes de..."galanterie", d'usage pour ce soir. Mais l'homme de grande stature préférait veiller au grain.
La jeune femme cessa aussitôt sa contemplation, pivotant sur un pied dans un mouvement gracieux pour faire face à l'homme du Manoir. Elle secoua la tête négativement, lire ici ? Non ! Impossible, ce serait trop facile à quelqu'un de percer sa faille. La demoiselle était une parfaite herboriste et une flore entre les mains, personne ne saurait jamais qu'elle éprouvait des difficultés pour lire, mais tout autre ouvrage. Il fallait dissimuler ses failles, car elle finissait toujours pas vous mettre dans l'embarras.
" Je ne faisais que regarder. Je ne me permettrai pas de toucher vos biens. "
Répondit-elle bien que tout deux savait que c'était faux et que l'acrobate n'avait aucune gêne à piocher dans les affaires des autres.
Pas pour leur dérober quoique ce soit, juste parce qu'elle était sans gêne et quand elle voyait un objet qui lui plaisait, elle n'hésitait pas à le retourner dans tous les sens pour mieux en comprendre sa nature.
" J'imagine que notre entrevue a assez durée, vous devez sûrement avoir une foule à divertir, et moi je pense avoir échappé aux pires de vos invités. "
Déclara-t-elle en lui adressant un large sourire.
L'Anglais resta à détailler l'allure de la bohémienne. Plutôt typique de sa race, pensaient tous les hommes. Belle, athlétique, regard de braise et sourire généreux mais esprit fier et indépendant. Ne jamais sous-estimer une femme, surtout celles-ci. Il en connaissait suffisamment pour savoir leurs valeurs. C'était très souvent la meilleure manière de s'informer que de passer par elles. -Si les livres vous intéressent, prenez-les. Je ne tolère pas qu'ils quittent le Manoir, mais étudiez-les à loisir ici. Et ceux-ci n'étaient pas les plus séduisants. Mais cela personne ne devait trop y prendre garde. Severus avait son antre propre, sa bibliothèque qu'il faisait encore remplir des derniers cartons reçus de sa patrie. Le choix de la jeune femme était amusant. Les livres révélaient bien plus sur leurs lecteurs qu'on ne pouvait l'imaginer. -Certes. Un tri s'impose. répliqua-t-il d'une voix égale. Mais tout dépend de ce qu'on cherche. Elle semblait faire allusion à des personnes qui valaient davantage que d'autres. Des hommes peut-être, en son cas. Le Duc pinça furtivement l'arête de son nez, puis rangea la bouteille de whisky.
La brunette passa une main dans ses cheveux courts pour replacer quelques mèches sauvages, comme son caractère. Elle se demandait jusqu'ou pousser le bouchon. Le Sir Lowander lui avait simplement demandé d'offrir un spectacle plaisant à son ami. De toute façon Keith savait que s'il avait demandé plus à Lisa, cette dernière l'aurait envoyé paitre. Depuis son évasion, il ne lui était qu'arrivée rarement de devoir vendre son corps, et cela n'avait été qu'au tout début de sa délivrance, quand la vie était encore difficile, que les chaines du passé la maintenait encore captive. Et puis le Duc, bien que joueur, ne semblait pas être un de ses hommes qui succomberait à un plaisir aussi déluré. Il devait avoir les moyens de s'offrir bien mieux qu'une acrobate bohémienne.
Elle termina par lui tourner le dos pour retourner inspecter la bibliothèque, un livre avait attiré son attention, pas par son titre mais sa couverture. Lisa ne se permettait pas de le sortir de sa place mais elle le regardait avec grande attention, curieuse.
" Effectivement c'est loin d'être possible. J'aime plutôt la compagnie mais, la bonne compagnie se fait rare. Être entouré par n'importe qui est loin d'être un plaisir je l'admets, cependant c'est un passage obligé, la foule, pour trouver les perles rares de ce monde. "
Elle ne le regardait pas, toujours fixé sur l'ouvrage qui suscitait son intérêt. Pourtant un livre très ordinaire parmi tant d'autres, mais il avait ce je ne sais quoi, une cicatrice qui ne le rendait pas aussi lisse que les autres.
L'homme observa avec un certain amusement la créature venir le provoquer jusque sous son nez, littéralement. Décidément. L'avantage avec ces femmes qui mènent des existences relativement hasardeuses , c'est qu'elles ne craignent pas les risques de ce genre. Et puis elle devait imaginer qu'être l'alliée de Keith la protégerait de lui. Ô combien elle se trompait sur ce point. Keith savait que son britannique d'ami n'avait aucune pitié en ce qui le concernait proprement. -Prenez note, de cela et du reste. Son sourire n'avait rien de beau, et tous deux le savaient, car chacun parlait un peu de lui en imaginant parler de l'autre. Il ne doutait pas que pour conserver sa santé mentale avec une telle profession il était nécessaire d'attribuer au sourire une autre fonction que celle de la sincère joie. La quoi d'ailleurs? Le Duc haussa à nouveau un sourcil: -Je préfère être seul oui. Comme toujours. Mais vous savez aussi bien que pour vivre ce n'est pas possible. Vous énoncez des vérités sur lesquelles vous n'avez pu que trop méditer.
Mieux qu'un mariage ? Forcément. Mais quelque part, Lisa savait qu'on ne revenait jamais des lieux où elle avait trainé, et son avenir n'était pas resplendissant comme pouvait l'être celui de deux jeunes gens amoureux qui découvrent la vie ensemble. Pour elle, il ne restait que les ténèbres, prêt à la draper dès que ce serait la fin. Cela ne lui faisait pas peur. La mort n'avait jamais inquiété Lisa, pas après avoir passé du temps chez Madame Peacock. Á cette occasion elle était morte une première fois, pas physiquement bien sûr, mais mentalement. Il l'avait fallu pour survivre.
" J'en prends note. Je n'oublierai pas votre offre. "
Dit-elle en s'arrêtant sous son nez.
Lisa n'était pas la plus grande des dames, aussi dû-t-elle lever le nez pour maintenir ses yeux sur le regard sombre de son interlocuteur.
" Sachez qu'un beau sourire cache bien des peines, mais je crois que vous êtes le premier à le savoir tandis que vous accueillez tous vos invités avec joie, au fond, vous préféreriez être seul ce soir. "
-Triste je ne sais.Tout dépend de quel type de noms de famille on parle. Je suis sûr que vous trouverez mieux qu'un mariage. Plaisanta-t-il, acerbe.Ici il était prédateur, plus que jamais, dans cette pénombre étrange où tous deux semblaient à l'aise, fait peu coutumier des gens qui avaient une vie honorable. Quand elle approcha, jouant excessivement de sa démarche féline et fort éhontément artificielle, Severus resta focalisé avec son rictus habituel lui servant de sourire sur les yeux de la diablesse qui jouait sans peur. -Prenez moi comme vous le souhaitez. Je suis certain que nous aurons l'occasion d'en reparler. Quoiqu'il en soit, en ce lieu clôt, l'homme se sentait bien. Même s'il n'était pas au mieux de sa forme et que jamais il ne fallait se croire intouchable, il savait que bien des choses étaient en sa faveur pour une fois ce soir. -Moi qui croyait que vous étiez juste une femme pour laquelle les hommes courbent en vertu de ses courbes, vous savez piquer l'intérêt d'un flegmatique aristocrate comme moi.
Elle sirota un peu plus de sa boisson avant de faire une moue mitigée. Certes, certaines filles croyaient qu'un nom de famille changeait une vie. De son côté, s'étant entiché d'un troubadour et ayant quitté une vie lui offrant une certaine sécurité, il fallait dire qu'elle n'était pas comme la majorité des filles à rêver du prince charmant. Plus maintenant en tout cas. Si un "prince" l'avait effectivement sorti de sa misère, c'était loin d'être un acte dépourvu d'intérêt, et ça avait sans doute couter bien plus à la demoiselle qu'elle ne l'admettait.
" Peut-être bien, je pense qu'elles finiront par découvrir que la vie est bien triste lorsqu'on se fie à des noms de familles. Enfin ce n'est pas mon problème puisque je ne suis malheureusement pas destiné aux beaux mariages auxquels ces femmes rêvent. "
Lisa lui adressa un sourire amusé, son ton n'avait rien d'une blague, mais elle ne se sentait nullement menacé par ses propos. Le Duc n'était pas comme l'idiot qui lui avait couru après à la réception. Il était plus subtile, plus intriguant, le genre d'hommes avec qu'il était dangereux de jouer mais que Lisa n'aurait jamais refuser à relever le défi.
" Oh. "
Se contenta-t-elle de répondre en s'avançant dans sa direction à pas lent, ses hanches ondulant avec la grâce de danseuse.
" Vous n'êtes donc pas à prendre à la légère. Moi qui vous croyez aussi creux que la plupart des bourgeois qui se courbent devant les Nobles en espérant entrer dans leur cercle vaniteux. "
Bien sûr, ce n'était pas ce qu'elle avait cru en le voyant. Lisa savait que ceux qui suscitait l'intérêt de Keith, pas juste un intérêt superficiel, un réel intérêt comme il avait manifesté pour le Duc, étaient rarement des gens creux.
La jeune femme était dans son rôle, au moins pour la soirée. Mais le personnage avait piqué l'intérêt du Duc, qui , s'il savait qu'il fallait s'en méfier, avait une envie naissante d'avoir un pouvoir suffisant pour en savoir plus. Oh il trouverait, à force de chercher. Il avait un nom, une profession, un protecteur. Il avait très souvent eu moins que ça. -Je ne connais pas les affres de la beauté plastique, mais vous n'êtes pas sans savoir que le nom de famille attire beaucoup les femmes dans certains cas. Répondit-il sur le même ton que l'acrobate, se mettant sur un plan d'égalité pour mieux la bluffer, tout en conservant son austère apparence, ce qui formait un contraste saisissant. -Et sachez que je ne suis pas homme à qui l'on lance impunément des défis. Ou des menaces. Mais cela aurait sans doute coupé la conversation s'il l'avait ajouté, il faut bien se l'avouer. Son regard aquilin persistait à sonder les yeux de Lisa. Elle avait une répartie assez facile, jouant sur les sous-entendus évidents au vu de son rang. Mais elle ne le duperait pas, qu'elle le sache. A ce jeu il pouvait être doué.
Le Duc répéta son nom ce qui perturba l'acrobate. C'était rare qu'on lui octroie ce respect, la décence de l'appeler par son prénom plutôt qu'un adjectif, un mot quelconque, une injure. Elle observa le personnage devant elle, il était intriguant. Surprenant que lui et Keith ait quoique ce soit en commun, quoique ... les deux avaient des choses à cacher, c'était une certitude. Des hommes de l'ombre à leurs heures perdues, il n'y avait pas de doutes !
C'est avec un sourire presque provocateur qu'elle répondit à sa question indiscrète. Il était intéressant, ne s'embêtant pas à passer par quatre chemin pour s'exprimer un peu comme elle. Après tout, entre eux ce n'était pas comme s'il y avait une quelconque façade à entretenir pour les apparences.
" Il faut dire que c'est dur d'être sculptée comme Aphrodite dans ce monde où les hommes ne prennent pas non pour une réponse. Alors ils recourent aux insultes qui leur passe par la tête. "
Déclara-t-elle sur un ton mélodramatique, preuve qu'elle ne se prenait pas particulièrement au sérieux.
" Mes dons, sachez qu'il nous faudrait être plus intimes pour que vous les découvriez. "
Ajouta-t-elle avec un haussement de sourcil assez explicite mais en même temps suffisamment malicieux pour qu'on ne sache si c'était une blague ou une réponse sérieuse.
-Lisa. Fit-il claquer dans son palais, comme un grand cru qu'on prend soin de déguster. Son observation des quelques livres assez banaux présents dans la pièce arracha un nouveau rictus au maître des lieux. Sans trop rien dire, et sans toucher au verre dans lequel elle avait bu, le Duc se permit de remettre en place le col de sa chemise montante qui avait laissé apparaître une cicatrice à la gorge une fraction de secondes. Il avait également remarqué le tatouage, aperçu partiellement seulement. -Sans vouloir être indiscret, je doute que mon...."ami" s'intéresse à vous parce que vous êtes une bonne danseuse seulement. Si l'on vous a traité de sorcière, peut-on savoir quels sont vos autres dons? Demanda-t-il avec un soupçon de sarcasme. Il ne se moquait pas d'elle, il ne se moquait pas des personnes dont il décelait un potentiel encore tapi et qui ne lui était pas nécessairement acquis.
Elle opina la tête. En effet, ce ne serait pas elle qui le contredirait, le Baron pervers était un soucis bien superficiel quand elle y pensait. Un misérable insecte qu'elle pouvait écraser à tout moment. La demoiselle se mit un peu plus à l'aise en allant examiner la pièce comme si elle était chez elle. En particulier la petite bibliothèque remplit de livres l'intriguait. C'était bête mais son niveau de lecture était assez faible en comparaison avec les nobles et les bourgeois qui n'avaient qu'à poser les yeux sur une phrase pour la comprendre en un éclair. La danseuse prenait plus de temps à décrypter chacun des mots poser sur le papier. C'était pour cette raison que les livres l'attiraient autant qu'ils la répugnaient. Jamais elle n'aurait avoué à quiconque qu'il lui fallait cinq fois plus de temps que les autres pour lire une phrase.
Lisa finit par se retourner, les médaillons sur sa jupe s'entrechoquant dans un petit éclat sonore rappelant son spectacle. Elle croisa les bras devant elle, et prit un air penseur.
" Et bien Chienne est le plus récurent, dépravée, catin, sorcière, les noms sont variés. Mais vous pouvez m'appeler Lisa si le cœur vous chante, c'est pour les intimes. "
Déclara-t-elle en lui adressant un clin d’œil.
Les prunelles d'onyx fixaient sans émotion celles de la jeune femme. Il l'appréciait, en la testant par différentes attitudes plutôt classiques. Il eut un rictus en la voyant se saisir de son verre: ce réflexe était intéressant. -Nous avons tous nos soucis superficiels. Elle avait donc des ennemis capables de l'empoisonner, elle n'était sans doute pas qu'une plaisante acrobate. L'intelligence brillait dans le regard fier. Le Duc l'observa encore un petit moment, sans s'en cacher. Oui, Keith (contrairement à ce qu'il pouvait en dire) savait choisir ses pions. Et quelque chose lui laissait entendre que celle-ci était particulièrement virulente comme pièce. Elle n'était en aucun cas intimidé par lui. Elle avait l'habitude de rivaliser avec le pouvoir officiel, sans doute avec des compétences officieuses. Elle cachait bien son jeu. Il savait reconnaître un possible espion, il avait tout de même l'expérience de son côté. Même s'il n'avait pas le même charme. Mais de cela il n'en tenait compte, puisque son instinct l'assignait à la méfiance qu'il avait envers tous. Keith en personne pouvait se retourner contre lui par intérêt, alors.... -Comment vous nomme-t-on?
Lisa retint un rire, qui dépassa ses lèvres comme un souffle las. Combien de fois lui avait-on rappelé que ce n'était qu'une chienne moins bien traité que la pire des canailles courant les rues ? Alors oui elle avait encore de l'orgueil, c'était difficile à comprendre. Elle se croyait au-dessus de la foule tout en sachant que finalement elle était sûrement bien pire que tous.
La jeune femme observa le Duc qui servait un verre. Elle était suspicieuse, jamais acceptait-elle les breuvages qu'on lui tendait, elle savait trop bien ce qu'ils pouvaient cacher. L'acrobate regarda le verre avec une certaine insistance avant de le saisir entre ses doigts délicats. Elle laissa voir son tatouage glissant le long de son bras gauche.
" Peut-être bien, mais je pense qu'il a également d'autres soucis en tête. Même s'ils sont tout aussi superficiels. "
Dit-elle sans élaborer.
Ce n'était pas quelque chose dont elle aurait dû discuter avec le Duc. Elle avait après tout juré fidélité à son mécène Lowander.
Lorsqu'il parla d'elle presque comme un objet, une attraction, elle fronça un sourcil et le regarda sérieusement. La jeune femme déposa son verre sur la petite table présente dans le salon privé et subtilisa habilement le verre dont Lord Snape venait de boire une gorgée. C'était une boisson plus sûre, elle en but une gorgée à son tour avant de répondre.
" Il faut bien croire. "
Lança-t-elle en le regardant droit dans les yeux tandis qu'elle buvait une seconde gorgée de son verre.
Le Duc ne cilla pas d'un pouce lorsque la porte s'ouvrit, laissant place à la créature de tout à l'heure. Il se contenta d'arquer un sourcil, simplement curieux de ce qui avait pu pousser l'acrobate à se réfugier ici. Adossé contre la paroi, il tenait son verre en cristal entre ses longs doigts, le regard plus sombre que jamais dans cette semi-obscurité. -La plupart des gens à cette réception sont des imbéciles sur différents plans. Les insulter n'est pas suffisant pour vous mettre au-dessus toutefois. Répliqua-t-il avec sa manière habituelle de parler, à la fois détachée et froide. Il alla chercher sans hésitation un autre verre, et servit d'un geste fluide une rasade équilibrée. -Mais je vous rejoins sur votre verdict concernant Keith. C'est un noble qui n'a qu'une crainte, ne plus savoir comment dilapider sa fortune avec originalité. Il lui tendit le verre, le visage toujours impénétrable. Ceci fait, le Duc se permit de regarder d'un air détaché la jeune femme de haut en bas, avant de reporter son attention sur son propre breuvage dont il savoura une gorgée. -Et il faut croire que vous êtes la dernière excentricité en date.
Long soupir.
Rah la poisse. C'était bien sa veine qu'un lourdeau pareil lui tombe dessus. Malgré le fait qu'elle se soit éclipsé assez vite pour aller retrouver ses camarades acrobates, et quelques invités plus distants des autres, il avait fallu que ce Baron, bourgeois qui avait acheté son titre de Noblesse, donc n'avait guère de légitimité à jouer les grands hommes, vienne à sa rencontre. Aux premiers abords il faisait celui propre sur lui qui félicitait la jeune femme de son spectacle, flattant son égo. Mais son regard alléché n'avait pas échappé à Lisa. Il était comme beaucoup d'autres, intéressés par les plaisirs de la chaire uniquement. Et les propositions déplacées ne tardèrent pas. Lisa savait que lorsqu'elle refuserait il réagirait avec dédain comme s'il n'avait jamais été intéressé, et il en profiterait même pour l'insulter en lui disant que c'était une catin, fille facile qui ne demandait qu'à se faire passer dessus.
Si c'était effectivement sa réaction, Lisa ne manquerait pas de lui concocter un petit remède surprise, pour qu'il se repente.
Fort heureusement, elle trouva une excuse assez convaincante pour s'éloigner, "j'ai besoin de me refaire une fraîcheur avant que vous ne m'accordiez votre temps" -mensonge à mourir de rire - même s'il avait tout de même proposé de l'accompagner pour "s'isoler". Hmm bien sûr. Il croyait pouvoir la prendre contre un mur quelque part. Idiot.
Lisa s'éloigna au plus vite, habile comme elle était, ce Baron n'eut qu'à cligner des yeux pour la perdre de vu. Elle avait aperçu dans un couloir une porte semblant menée à une pièce plus privée, c'était le parfait échappatoire ! Elle s'y dirigea illico presto et y entra de dos pour s'assurer que l'idiot ne la suivait pas. L'artiste se retourna et s'adossa à la porte les yeux fermés, poussant un soupir de soulagement. Ce ne fut que quelques secondes plus tard qu'elle l'aperçut. L'hôte de la soirée.
" Si je puis me permettre, certains de vos invités sont vraiment des imbéciles. Mais bon je pense que j'aurais dû m'en douter sachant que Keith faisait parti de la liste. "
Lâcha-t-elle sans passer par quatre chemin.
Une certaine colère dans sa voix mais surtout beaucoup de malice.