Une semaine après son escapade sur les toits des chaumières d'Édimbourg, William avait de nouveau rencontré son escouade. Ils avaient trouvé judicieux de ne pas se rassembler en ville cette fois-ci, mais d'opter pour un lieu plus en retrait. Une vieille auberge à l'abandon où les voyageurs s'arrêtaient parfois à la recherche d'un endroit sec où dormir.
Le garçon avait pu donner les détails de son plan pour attaquer le navire marchand qui accosterait prochainement à Édimbourg. Une équipe serait sur la terre ferme, lui et son camarade serviraient de leure sur l'eau. Il leur faudrait une embarcation et une bonne connaissance de la nage mais ça devrait aller.
Tout du long de la discussion il avait senti que son collègue, qu'il avait découvert était une collègue, se montrait distante. Même à la fin de la réunion alors qu'ils se quittaient pour repartir chacun de leurs côtés, elle s'était montrée tout aussi évasive. Il avait besoin de clarifier les choses avant la mission. S'ils risquaient leur peau ensemble, ils allaient falloir s'entendre, cette ambiance ne pouvait pas durer.
Aussi il décida de l'attendre sur le chemin en direction de sa monture. Il était adossé au mur abîmé de l'auberge, les bras croisés, le regard neutre. Les autres s'étaient dispersés, il ne les entendait plus, ne restaient qu'eux.
" Alors comme ça tu fais la tête pendant toute la réunion ? Je ne t'ai rien fait de mal je te signale. Et on va travailler ensemble, donc tu ferais mieux de me faire un peu confiance je crois. "
Dit-il sur un ton détaché.
Rapidement Myrsela reprit son attitude de brigand, un air sérieux, un ton dur, elle n'allait pas changer maintenant juste parce qu'elle venait de découvrir la véritable identité du jeune homme. Elle avait raison. William devait en faire de même. Ici ils étaient collègues égaux, il ne la traiterait jamais différemment des autres. En échange elle aussi le traiterait de la sorte, pas de traitement de faveur, de fausse courtoisie, ils étaient là pour se rentrer dans le lard, pour se dire les choses en face, pas de blabla hypocrite.
" Bien nous ferons comme prévu, après tout ceci ne change rien ici. Je vous souhaite de bien vous porter jusqu'à notre prochaine rencontre ! "
Déclara-t-il en rabattant sa cape sur son visage et se dirigeant vers sa propre monture.
Le jeune homme passa le pied à l'étrier et se mit en selle. Il adressa un signe de main à sa collègue avant de s'éloigner de son côté. Il n'avait plus rien à faire par ici, autant rentrer chez lui. La prochaine fois, ils seraient en mission, et ça, ça donnait une excitation non négligeable à la vie du futur laird, un sentiment qui lui chatouillait les entrailles lui faisant ressentir des émotions qu'il croyait mortes depuis trop longtemps.
La transition était bien trop violente, mais ce qu'incarnait le jeune homme, la manière à nouveau cérémonieuse...Myrsela retrouva derechef son attitude habituelle, bien que perturbée: "Messire...Je n'aurais jamais pensé..." Elle interrompit d'elle-même cet avorton qui n'avait pas sa place comme salutation ici.Reprenant un visage extrêmement sérieux voire dur, la jeune femme énonça clairement: "Nous sommes ici comme collègues égaux. A tout point de vue. Par conséquent, nous n'avons pas à nous étendre sur le sujet. un silence Nous pourrons nous revoir davantage si vous voulez, pour discuter des détails de l'opération." Elle eut un petit signe de tête, et alla à sa monture.
Elle semblait aussi surprise que lui, il fallait dire que ce n'était pas le genre de personne à qui on pensait en premier lorsque on s'imaginait des brigands. William resta silencieux un instant. Il ne s'attendait pas à retrouver la demoiselle Owen, il se demandait ce qui l'avait poussé elle à rejoindre ce groupe de voyous.
" Nous ne sommes pas des étrangers, si je croyais vous retrouver dans une telle situation ... "
Dit-il en retrouvant le vouvoiement de politesse qu'il avait utilisé jusqu'à présent pour la jeune bourgeoise.
Le Mackinnion ne savait pas quoi dire de plus, il n'y avait pas de mots pour exprimer sa stupéfaction. Il avait des questions, beaucoup de questions et en même temps ce n'était pas le moment de lui demander. Ils étaient là pour conserver leur secret pas se dire tout ce qu'ils avaient sur le coeur. Une fois leurs visages dévoilés, y avait-il autre chose à rajouter ?
Ce visage...La voix....Myrsela écarquilla légèrement les yeux... Le successeur, le....par tous les saints. Elle ne répliqua rien, trop saisie. Alors ça, non,comment le prévoir?Impossible. Et maintenant, que faire? La surprise passée, elle ne put que constater l'ironie de la situation. Il devait vraiment être très las pour devenir un brigand, luttant contre son propre pouvoir. Il y avait là quelque chose de cocasse et de désespérant à la fois. Non,elle n'avait rien à dire. Rien sinon que tout changeait encore.
Bon la mise à nue tenait toujours. Elle ne semblait pas vouloir reculer. William se demanda s'il n'était pas en train de tomber dans un piège. Serait-il le seul à se dévoiler ? Il espérait pouvoir faire confiance à cette personne, après tout ils allaient devoir coopérer pour la mission.
Le décompte fut lancé.
" 3 ...2...1..."
Il retira sa cape, dévoilant ses cheveux ondulés de la couleur des épis de blé en été. Ils tombés sur ses épaules dans un état désorganisé, comme si le vent avait chamboulé sa coiffure. Il avait une mâchoire serrée mais assez fine où on devinait une barbe de quelques jours. Ses yeux eux étaient francs et d'un gris bleus étincellant.
Lorsqu'il découvrit la jeune femme face à lui, William resta silencieux. Il ne s'y attendait absolument pas. Et dire que seulement quelques jours plus tôt ils étaient en train de converser vainement au banquet de ses fiançailles. Et elle, qu'allait-elle penser ?
Les gens ne sont jamais ce qu'ils semblent paraître. Une loi que connaissait parfaitement la demoiselle pour l'appliquer elle-même. Elle s'était engagée, pourquoi se désister? Elle n'avait rien à perdre. Qui dans ce groupe minable pouvait avoir du pouvoir? Personne, en tant que brigand ils étaient tous à égalité. -Très bien, messire. Articula-t-elle avec amusement. -3...2...1... Elle ôta sans hésiter une seconde sa sombre capuche, laissant apparaître ue chignon défait par les péripéties de la journée, un sourire malicieux et légèrement tendu. Ses yeux verts étaient aux abois.
" Sûrement, je suis loin d'être un homme exceptionnel. Je suis comme n'importe qui, ou plutôt, je suis comme n'importe quel personne qui se lasse de son existence. Les biens matériaux m'importent peu, en revanche l'aventure elle, suscite toute mon attention. "
Il était vrai que William ne se considérait pas comme un être supérieur ou différent, il était comme tout le monde si ce n'était qu'il était né dans une des familles les plus prestigieuses d'Écosse. Le jeune homme était quelconque.
Elle retournait ses mots contre lui. Après tout elle avait raison, il lui avait tendu le bâton pour se faire battre. Le garçon haussa les épaules. En réalité il avait peu à perdre. Ce serait sa parole contre celle de la demoiselle. Et avec la fortune de sa famille, il n'aurait pas de mal à noyer le jaune dans l’œuf si jamais la situation dérapait.
" Très bien si c'est ce qu'il vous faut, je suis prêt à le faire. Je vous propose que nous nous débarrassions de nos capes après un compte jusqu'à 3, cela vous convient-il ? "
Myrsela sourit. Sans doute, c'est ce que tout le monde recherchait ici, en dehors des profits simplement matériels. Mais elle, que cherchait-elle? A s'affranchir, comme tout le monde. A prendre des décisions, folles peut-être, mais les siennes. "Alors vous seriez un homme presque comme les autres." Répondit-elle en souriant. Non vraiment, quitte à tout lâcher, autant aller jusqu'où bout. "Dites-vous que je suis une femme de parole." Répliqua-t-elle , un brin provocante. Elle s'approcha de son interlocuteur, plus détendue qu'au début. S'il le faisait, alors...Cela changerait peut-être leur relation.
Elle n'avait pas tort. Que faisait-il ici ?
" Et si l'enjeu était simplement de me sortir d'une situation morne et inintéressante et de créer un peu d'aventure à ma banale existence ? "
Demanda-t-il un sourire se dessinant sur ses lèvres.
William n'avait absolument rien à gagner ici. Dans un sens, elle avait raison, il n'avait pas sa place au sein de la bande de brigand. Cependant, le jeune homme n'avait pas non plus vraiment sa place au sein de la famille Mackinnion. Tout ce qu'il lui restait était le sentiment d'adrénaline, le sentiment d'être vivant, mais pour se sentir vivant il fallait frôler la mort. Et il n'y avait qu'en trainant avec les mercenaires, qu'en se mettant en danger, lui et son rang au sein de sa famille qu'il trouvait une raison de continuer. Quelque part ses actes étaient égoïstes, car il mettait sa famille à risque, mais l'enjeu rendait la lute bien plus intéressante.
" Vous seriez prête à faire tomber la cape et vous révélez ? Comment être sûr que cela n'est pas un piège, que vous vous dévoileriez aussi ? "
Questionna-t-il intrigué de savoir si la demoiselle était sérieuse ou non.
L'attitude de cet homme était un peu déroutante. Ce n'était pas un brigand comme les autres. Elle avait la chance ou le malheur (elle ne savait pas encore) de tomber sur quelqu'un de différent. Avec un soupir assez prononcé pour que l'autre le perçoive clairement, elle se tourna bien en face de lui, croisant les bras. "Très bien. Parions sur le fait que vous soyez un tel homme, un homme de parole. Si tel est le cas, vous n'êtes pas à votre place ici...Sauf s'il y a des enjeux encore plus importants à la clef. " Elle laissa un temps de pause, de répit, de réflexion, qu'importe! La jeune femme était curieuse maintenant. De toute manière, elle n'avait rien à perdre. Autant y aller de façon radicale, cela la changerait des mondanités. De plus, elle était sûre d'avoir déjà rencontré cette personne. ''Admettons que vous soyez joueur, ne voudriez-vous pas révéler avec moi à part égale qui nous sommes? Je crois que ce serait honnête." Ils en sauraient alors assez l'un sur l'autre pour ne pas pouvoir se trahir, et seraient des alliés efficaces.
Il ne put retenir un rire lorsqu'elle lui répondit avec ironie et froideur. Bien sûr qu'il ne se croyait pas dans un conte de fée, sinon il n'aurait jamais surpris ses parents comme il les avait vu. Depuis, sa vision du monde avait changé. Il n'avait jamais été le même après cette histoire. Son monde effondré, il s'était construit une nouvelle vision du monde.
"Par fin heureuse, j'entends simplement que nous soyons tous les deux en vie d'ici la fin de la mission et si possible en un seul morceau. Donc notre objectif est le même. La réussite de la mission. "
Il marqua une pause avant de reprendre.
" Si tu le dis, nous n'avons donc rien à nous dire de plus. On se retrouve pour la mission en espérant que notre manque d'entente ne nous porte pas préjudice pendant le boulot. "
Le jeune homme fit un pas en arrière en direction de sa monture. La conversation n'aboutissait pas. La jeune femme était sur la défensive, il savait que c'était peine perdue. Insister n'apporterait que des tensions supplémentaires entre eux.
" Certes tu ne peux pas savoir ce que vaut ma parole mais j'aurais largement eu le temps de te trahir auprès des nôtres si j'avais voulu le faire, donc tu as au moins un aperçu de ce qu'elle peut donner. Pour le reste je peux t'accorder une question si tu le veux, pour que nous soyons quitte. "
Oui elle l’évitait, et alors?Se sentait-il à ce point mal dans son existence pour avoir besoin du soutien de la jeune femme ? Celle-ci leva les yeux au ciel, sous l’ombre de sa capuche. Elle fit face à l’homme, tout en restant près de son fidèle destrier.
« Une fin heureuse ? Est-ce que tu t’entends parler ? Nous ne sommes pas dans un conte de fée. Ce qui prime c’est la réussite de l’entreprise, c’est tout. »
Myrsela fit un pas en pointant la poitrine de son ‘allié’ d’un doigt menaçant et ironique à la fois.
« Nous travaillons de pair, je crois que tu n’as pas besoin de plus, et moi non plus. A moins que nous révélions absolument tout de que nous sommes, tentant un suicidaire mais brillant franc jeu, je n’ai rien à te dire de plus. »
Elle avança encore légèrement.
« Je suis comblée d’avoir ta parole d’honneur mon cher, mais j’ignore ce qu’elle vaut.Alors, je vais être peut-être trop honnête pour toi : je serai satisfaite quand j’en saurais suffisamment sur ton identité ou sur tes failles en général. Car vois-tu, je suis méfiante, mon ami. »
Laissa-t-elle tomber avec un sarcasme amer.
William n'était pas satisfait de sa réponse. Même s'ils n'étaient pas de grand ami, elle ne l'évitait pas auparavant, alors que là tout chez elle criait la fuite. Il n'avait pourtant dévoiler son secret à personne. Aucun des autres n'avaient changé vis à vis d'elle. Tous croyaient dur comme fer qu'elle était un homme, certes un peu plus gringalet que les autres, mais un homme quand même.
" Certes nous ne discutions jamais bien longtemps mais cela ne t'empêchait pas de rebondir sur mes propos. Aujourd'hui tu n'as pas fait ça une seule fois quand je parlais. Et de façon général, tu m'évites. "
Il la suivit lorsqu'elle se dirigea vers sa monture. Il n'avait pas terminé cette discussion, elle ne pouvait pas partir comme ça.
" Ridicule. Travailler seul sur ce genre de mission n'aboutit jamais à une fin heureuse. Vu qu'on est les deux à se "sacrifier" on a plus encore besoin de s'accorder et s'entendre pour le projet. Et ton attitude me prouve à quel point ce n'est pas le cas en ce moment. Je t'ai pourtant promis de me taire, qu'est-ce que tu veux de plus ? "
Demanda-t-il en l'observant sérieusement.
Le plan se dessinait désormais. Assurément, ce serait risqué. Myrsela n’était pas une tête brûlée, elle tremblait parfois en songeant aux conséquences de ses actes : mais en public, ou tant qu’elle représentait le bandit, elle ne le montrait pas. Après tout, elle allait amuser la galerie, n’était-ce pas un domaine dans lequel elle excellait?Cela aurait sa part d’amusement. Mais voilà. Que quelqu’un sache la tracassait particulièrement.Cet homme avait un arrière goût de connu qu’elle ne parvenait pas à distinguer...Un élément qu’elle ne contrôlait encore pas, mais cela viendrait.Comme le reste. La jeune femme avait été attentive à ce qui se disait, mais veillait à éviter cet être qui savait : non qu’elle le craignait, elle se contentait d’attendre et de découvrir ses failles. Alors, quand il serait à égalité, une certaine confiance serait de mise. Ce n’était pas le cas.
Il l’attendait. Elle se mordit la lèvre. Elle aurait du sans douter, d’habitude elle partait toujours en prenant les devants. S’arrêtant net, la jeune femme répondit d’un ton sec, sans voiler sa voix naturelle enfin juste ce qu’il fallait, pour ne pas qu’on sache davantage qui elle pouvait être. Cependant, c’était bien la femme qui parlait.
« Je ne boude pas comme une enfant. Je reste fidèle à moi-même. Jusqu’à aujourd’hui nous ne parlions jamais, pourquoi changer ? »
Elle avança vers sa propre monture en murmurant
« Et ce n’est pas une mission, même relativement périlleuse, qui va changer cela. »